Le projet de thèse
Sous la direction de Renaud HETIER
Le travail de recherche que je mène s’inscrit dans la continuité d’une part, de mes implications socio-éducatives au sein de l’association de prévention de rue Respérance que j’ai créé il y a plus de 20 ans, et d’autre part, de ma pratique artistique du métier de conteur concomitante à ma formation initiale dans le champ des Nouvelles Technologies de l’Information et de Communication (NTIC).
Qu’est-ce qui a éveillé ma curiosité?
Depuis plus de deux décennies, je raconte des histoires dans différents contextes de médiation culturelle. Je me suis rendu compte de la pertinence du conte en tant qu’élément de médiation culturelle dans différents contextes éducatifs. Il permet de saisir et de résoudre autrement des problématiques sociales, notamment dans les territoires éloignés tels que les quartiers « Politique de la Ville » et les milieux ruraux.
Plus récemment, mon investissement au sein de la DANE Nancy-Metz avec la réalisation du kit pédagogique de sensibilisation aux bons usages du numérique reposant sur le conte dénommé Molo-molo sur le Web, m’a emmené à questionner l’intérêt de la médiation du conte dans un monde de plus en plus dominé par la sur-numérisation des rapports sociaux.
Ce dispositif pratique d’usage du conte en tant qu’objet transitionnel permettant de sensibiliser aux bons comportements dans le numérique, a éveillé ma curiosité de trois manières que je vais d’ores et déjà vous présenter.
Intervention de conte du 18 mai 2022 dans le QPV de la Californie à Jarville-La-malgrange, à l’occasion de la manifestation « à fleur de quartier », un projet de médiation culturel autour de la sensibilisation au développement durable en partenariat avec le bailleur social Mmh.
- Une intuition 50%
Chaque fois que je prononce “il était une fois” je perçois qu’une magie opère subrepticement auprès de mon auditoire et cela, indépendamment de mes qualités intrinsèques de narrateur. J’ai l’intuition que le conte dispose d’une capacité propre à convoquer une certaine attention sensible, en dépit des sollicitations abondantes et concurrentes du numérique.
Dans le cadre de ce projet de recherche, j’aimerai vérifier cette hypothèse.
- Une médiation 20%
J’ai observé en contexte d’attention dégradée, que le conte pouvait favoriser l’émergence d’espaces d’écoute collectif, propice à la transmission et à l’acceptation de valeurs et de nouveaux comportements dans le numérique, au sein de groupes d’individus pourtant très diversifiés par leurs origines culturelles et sociales.
Je souhaite mieux comprendre les principes et les mécanismes narratifs de cette forme de médiation pour le digital, qui s’appuie notamment, sur le rituel de la parole et la liturgie du geste.
- Une impression 30%
En cette époque où tout semble se volatiliser dans la course continue du temps, le conte contribue grâce à l’imaginaire qu’il déploie, à nous rendre indisponibles aux tensions du réel.
C’est mon témoignage personnel d’une longue expérience de contage dans différents contextes de médiation, que je souhaite simplement soumettre ici à l’analyse universitaire.
Je veux en effet, rendre compte du conte en tant qu’expérience métaphysique qui au paroxysme de sa pratique, produit un phénomène que je peux décrire comme une impression de déconnexion avec le temps et l’espace. C’est le fameux lieu du « il était une fois, aux confins d’un univers sans fins« , un espace du monde indisponible aux tentations aliénantes de l’hypermodernité.
Quand on s’y trouve, on s’y sent bien, en parfaite harmonie avec son auditoire : en pleine capacité de le rendre enfin sensible à l’essentiel d’une « vie bonne », de ce que le philosophe allemand Hartmut Rosa qualifie de « relations au monde réussies » .
C’est un volet plus éthéré de mon travail de thèse que j’envisage comme une discussion philosophique entre les théoriciens des nouvelles modernités et les adeptes de l’intemporelle narrativité.
CE QUI A ÉVEILLÉ
MON ATTENTION
La curiosité satisfaite, mon attention s’est orientée vers une meilleur connaissance du média conte en tant que vecteur de « savoir être« , de « savoir-faire » et de « méta savoir » en contexte de saturation médiatique (hypermodernité).
Je vous partage sans aucun lien de hiérarchie, les principaux éléments qui me sont parus suffisamment notoires pour les distinguer :
– Le conte est un outil apprécié par les enseignants de 1er degré et les médiateurs sociaux pour l’éducation morale et la citoyenneté numérique ;
– L’industrie des nouveaux média (jeu-vidéo, VOD, chaîne YouTube, etc.) utilise les principes narratifs du conte pour engager leur public. Le succès de ces productions dépend d’ailleurs de la qualité narrative des histoires qu’elles mettent en exergue ;
– Raconter, se raconter sur les réseaux sociaux et les plateformes numériques, constitue une pratique sociale mondialisée qui suscite de plus en plus de questions et d’intérêt dans nombreux domaines de la recherche.
Ces prémices d’observations se sont éparpillées dans une myriade de questions qui jalonnent mon cheminement de recherche.
Le conte
a t-il une utilité sociale dans les sociétés modernes?
LE NUAGE DE QUESTIONS QUI ME TRAVERSE
Toutes ces interrogations, sans constituer à elles seules des thèmes définitifs, déterminent néanmoins à mesure qu’elles s’égrènent, une trajectoire qui m’a conduit d’une naïve curiosité de conteur, au sursaut fructueux d’un ultime questionnement de chercheur : Quelle est l’intérêt du conte pour la transmission de valeurs et de « bons usages » dans les sociétés ultra-modernes dominées par le numérique ?
Voici listées toutes les réflexions qui se sont sédimentées à force de raison et d’intuition dans mon esprit, pour former le socle de ma principale question de recherche :
La question principale de recherche
Quelle est la valeur du conte en situation d’hypermodernité?
De ce magma réflexif a émergé cette magistrale question qui s’est imposée à moi en rejoignant l’intérêt du LISEC et celui de mon directeur de thèse Renaud HETIER.
Le problème
Quel est le problème auquel ma thèse veut apporter des solutions?
« Tout devient toujours plus rapide », telle est la marque des sociétés modernes. Notre monde, sous l’effet d’une contrainte dénommée par Hartmut ROSA « accélération » est déréglé. Nous vivons à l’heure de l’empressement aliénant où les ressources qui sont censés constituer notre bonheur deviennent quantitatives tandis que notre relation au monde demeure qualitative. Cette dichotomie nous fait dire que nous ne ressentons plus le monde. Plutôt, nous le subissons !
– Dans ce contexte de fracture temporelle quasi générationnelle, entre ceux qui ressentent encore le monde et ceux qui l’encapsulent dans une permanente disponibilité, comment envisager une aire de relation permettant le partage apaisé de valeurs communes acceptables ?
– Quel objet de médiation permettrait de remédier à l’anesthésie mondialisée d’une partie de la population qui ne ressent plus le monde en raison d’une trop forte digitalisation des rapports sociaux ?
– Quelle forme d’éducation morale et citoyenne permettrait de réactiver notre attention au monde ?
C’est à tous ces problèmes que notre thèse souhaite apporter des solutions.
Mais nous savons que nos relations au monde se forment essentiellement à l’école, qui constitue de ce fait, l’espace de médiation fondamentale par excellence. C’est ce qu’exprime Hartmut Rosa quand il affirme que : « C’est en particulier à la puberté, phase décisive au cours de laquelle les axes de résonance de l’enfance font silence, quand l’adolescent se rend étranger à ses parents, aux enseignants, aux habitudes héritées et à son propre corps, avant d’assimiler activement de nouveaux fragments de monde, que le contexte scolaire devient constitutif de la formation ou du blocage d’axes de résonance à la fois horizontaux, diagonaux et verticaux. C’est dans et autour de la salle de classe que se décide quelles sensibilités ou insensibilités à la résonance l’adolescent développera, et de quel répertoire de résonance il disposera dans son rapport aux objets matériels, aux orientations de pensée et aux êtres vivants qui l’entourent ». (p. 273)
En somme, nous souhaitons proposer dans ce travail de recherche, la solution de la médiation du conte comme processus de réactivation de l’attention des élèves, en particulier, quand ils sont plongés dans ce numérique aliénant. Nous pensons cependant, que c’est un processus qui débute juste avant adolescence, au moment où les nerfs imaginatifs des élèves (enfants) sont encore sensibles au merveilleux, et où ils assument collectivement de se laisser porter par le contage, sans se soucier du regard des autres.
Les concepts
LA RÉSONANCE
“Si l’accélération constitue le problème central de notre temps, la résonance peut être la solution”
— Hartmut ROSA
Définition scientifique
La résonance est un phénomène selon lequel certains systèmes physiques (électriques, mécaniques…) sont sensibles à certaines fréquences. Un système résonant peut accumuler une énergie, si celle-ci est appliquée sous forme périodique, et proche d’une fréquence dite « fréquence de résonance ». Soumis à une telle excitation, le système va être le siège d’oscillations de plus en plus importantes, jusqu’à atteindre un régime d’équilibre qui dépend des éléments dissipatifs du système, ou bien jusqu’à une rupture d’un composant du système.
Les domaines où la résonance intervient sont innombrables : balançoire enfantine, mais aussi résonances acoustiques de la voix parlée ou chantée et des instruments de musique.
Source: Wikipédia
Appropriation sociologique
C’est l’expérience d’une vibration, de la vibration de la corde qui nous relie au monde. Chacun sent bien si sa corde résonne ou pas, et avec quelle intensité : si son travail est source de plaisir ou triste contrainte ; s’il aime les siens ou se sent étranger parmi eux; si la vie sociale l’accomplit ou le dénature. C’est une question de relation au monde, de la manière dont nous l’appréhendons et dont il nous affecte. Il y a des relations au monde réussies, et des relations non réussies ; des relations qui résonnent, ou pas.
Source: Le Temps
« Le rapport fondamental au monde se manifeste dans la question de savoir si nous nous sentons portés ou jetés dans le monde, si nous l’éprouvons comme responsif ou répulsif, attrayant ou dangereux.»
—Hartmut Rosa
LE CONTAGE
“Le conte provoque l’attention, est génère une vie émotionnelle et symbolique”.
— Renaud HETIER
Le contage permet de créer un espace éducatif au sein de l’école et de la famille permettant à l’enfant de penser et d’affronter les conflits intérieurs et de gérer ses relations à autrui.
Sources | Comment penser le conflit
– Renaud Hétier
Créer un espace éducatif avec les contes merveilleux : comment penser le conflit
Chronique sociale | novembre 2017
Sensible
Le conte permet de se rendre disponible au monde sensible des personnages de l’histoire.
Espace
L’oralité permet de rassembler les auditeurs dans un espace d’écoute commun.
Intrigue
Le conte met en scène de nombreuses tensions et permet l’expérience du retour à l’harmonie.
Les hypothèses de recherche
HYPOTHÈSE 1
Cultiver l’attention et le care en éducation – R.Hétier
Le conte permet en tout temps et en tout lieu de retrouver la sensibilité au monde.
Le contage à l’école rend attentif à la nature, à soi-même et aux autres.
L’attention à l’autre
L’école pour diffuser la philosophie de l’attention dans le numérique.
L’attention à soi
Redonner une pleine conscience de soi indépendamment des réseaux sociaux numériques.
Prendre soin
De la réception d’un savoir de l’attention à la mise en action en situation d’hypermodernité.
Former l’attention : un cadre, un objet.
Retour d’expérience du conteur sur ses techniques de captation de l’attention (non-psychique mais artistique)
HYPOTHÈSE 2
Le maître diapason
L’expérience engagée du conte (contage) permet de faire vibrer une corde intérieure, en rétablissant une relation harmonieuse (résonance) structurante.
Inspiration
Évolution de la fonction du professeur du rôle de régulateur à celle de raconteur et fertiliseur des imaginaires.
Impulsion
Évolution de la fonction du professeur par la pratique du conte du rôle de médiateur professionnel à celui d’initiateur au monde merveilleux résonnant.
HYPOTHÈSE 3
Transmission de la résonance par le conte
L’abrogation de l’espace et la contraction du temps dans l’hypermodernité, brouillent les repères. La “narrativité” propose une réappropriation de son rapport au monde.
L’Education morale aux prises avec les contes – R. Hétier
Contribution des contes merveilleux à l’éducation des enfants de 8 à 12 ans– R. Hétier
Qu’est-ce que je vais mettre en place pour y remédier?
Dispositif expérimental
Le contexte
Lancée en 2020 par le secrétariat général pour l’Investissement (SGPI) et le ministère de l’Éducation nationale, et mis en œuvre par la Banque des Territoires avec les collectivités partenaires, et en association avec le Réseau Canopé et le GIP Trousse à Projets, le dispositif TNE doit permettre de tester, à grande échelle, la mise en œuvre de la continuité pédagogique, dont la nécessité a été révélée par la crise sanitaire, et de réduire la fracture numérique.
Dans les Vosges, la Délégation au numérique éducatif du rectorat de l’académie Nancy-Metz, au côté de la DSDEN des Vosges, de l’Atelier Canopé 88 – Épinal et de la direction territoriale Grand Est de Réseau Canopé va mettre en œuvre de dispositif TNE en concertation l’équipement des écoles et établissements et la formation des enseignants.
Pourquoi le territoire des Vosges ?
Terre contrastée entre plaines et montagnes, plurielle par son tissu socio-économique, le département des Vosges a été choisi pour répondre aux spécificités de ce territoire en matière de valorisation, d’insertion professionnelle, de mobilité et de communication.
60 000 élèves et 4 800 professeurs du primaire ou de secondaire dans 417 établissements scolaires et écoles, publics dont agricoles, et privés sous contrat :
- 59 écoles maternelles
- 280 écoles élémentaires
- 47 collèges
- 31 lycées;
- 1 É.R.E.A.;
Le molo-molo Tour
Durant l’année scolaire 2022/2023, Chyc Polhit et son collectif d’artistes va organiser sur tout le département des Vosges, le Molo-molo Tour. C’est un programme qui s’inscrit dans le programme #aucalme sur le Web de la DANE. Tous les 4000 élèves de classe de 6ème seront concernés par ce projet de médiation du conte en relation avec l’éducation aux bons usages du numérique.
Collecte de données
Une première partie des observations va consister à capter la séance de contage de manière à avoir des éléments objectifs permettant de mesurer le niveau de l’attention (quantitatif), le type d’attention (qualitative) en fonction de la forme de médiation narrative (conteur seul sans décors, conteur et musiciens, spectacle complet avec support visuel, lecture de l’album par l’enseignant, etc). Ce travail va permettre à faire une première évaluation de la médiation à proprement dite du conte sur le seul critère de la formation de l’attention.
Dans un second temps, nous allons mettre en place une séance de Molo-molo sur le web reposant sur l’expérience prégnante de contage. Ci-dessous, un extrait d’une expérimentation en région parisienne.
En Afrique, les contes avaient une fonction spirituelle et éducative. C’était le seul moyen qu’on avait trouvé pour partager – en l’absence d’écriture – des valeurs et des savoirs (être) d’une génération précédente à la suivante. On peut estimer que la naissance du conte coïncide avec celle de la parole, et du besoin éprouvé par l’homme de transmettre la connaissance (Coste, 2008). Le conte est éternel, symbolique, émouvant et simple. Par sa polyvalence, le conte peut s’imposer comme un merveilleux outil pédagogique. D’ailleurs, les civilisations antiques l’utilisaient comme outil d’enseignement, au travers des histoires, des fables et autres paraboles. Les fabliaux du Moyen Âge, puis les fables de la Fontaine démontrent de la puissance des messages qui peuvent être ainsi véhiculés. Le conte interroge et sensibilise. Selon Bruner, les récits aident « les enfants mais aussi tout le monde à se construire une version du monde dans laquelle ils peuvent, psychologiquement, envisager d’avoir une place pour eux-mêmes, une sorte d’univers personnel ». La pensée narrative, tout comme la pensée logique-scientifique, permet d’organiser, gérer sa connaissance du monde et structurer l’expérience immédiate que l’on a de ce dernier. Le fait de raconter son vécu structure la vie d’un individu mais aussi la cohésion d’une culture, au regard des lois qui sont pensées et écrites à partir de faits quotidiens.
– Nous voulons observer comment le conte de la petite tortue Babayagagogo a fait résonance – au sens « hartmundien du terme – chez les enfants au regard des enjeux du numérique ?
– Dans les échanges entre eux autour du jeu, il nous parait important de repérer les syllogismes qu’ils établissent eux-mêmes entre les péripéties de l’histoire et les risques de dysharmonies liées au numérique.
– Dans le même élan, nous voulons obtenir des données mesurables sur comment le conte a permis de préparer les élèves à l’insensibilité au monde lié au numérique.
– Nous souhaitons aussi avec les professeurs, établir des critères de résonance d’une classe, de sorte à observer avec eux, en amont puis en aval d’une séance de contage (Molo-molo Tour) comment le conte a permis (ou pas) d’améliorer la sensibilité collective de la classe au monde.
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Chyc Polhit 13 rue Willson 54500 Vandoeuvre-Lès-Nancy.
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« L’attention est un phénomène relationnel », entretien avec Renaud Hétier
Jeudi 25/11/2021
Nous avons échangé avec Renaud Hétier, enseignant-chercheur en sciences de l’éducation à l’Université Catholique de l’Ouest à Angers. Auteur de plusieurs ouvrages sur l’attention, il défend l’idée que le numérique perturbe notre attention parce qu’il amenuise nos relations interpersonnelles.